Quatre mois.
Quatre mois, Jonathan est parti.
Il quitte sa famille son père.
Sa sœur son beau-frère. Sa nièce de cinq ans presque et demi.
Il n’attend pas une deuxième nièce, annoncée cinq semaines plus tard. Il quitte ses deux tantes. Katia
du côté de sa mère. Jeanne, du côté de son père. Un oncle, Gérard, sa femme, Françoise. Des tas de
cousins de cousines, d’autres, pièces rapportées, joyeusement là, dans leur ébouriffante vitalité.
Jonathan quitte son boulot, où il œuvre, depuis trois semaines, cuisinier dans un bar - restaurant
nouvellement ouvert, où il faisait merveille, depuis trois semaines, satisfaisant à la fois les clients, ses
patrons, un couple jeune, bienveillant. Son père pense : « C’est bien ». Jonathan quitte Flore, sa
cousine, elle a deux ou trois ans de plus que Jo, déjà mère de famille, ensemble, ils font équipe au
restaurant. C’est Flore qui l’ a introduit auprès des patrons, pour le boulot. Joyeuse équipe.
Il quitte ses copains de Marseille, toute une quinzaine, restée soudée, malgré son départ de la ville
d’origine, son installation depuis trois ans et trois mois dans la Vallée. Toujours amis toujours copains,
très proches les uns des autres, la bande des Marseillais. Tandis que certains, partis au loin, Nouvelle-
Calédonie, Canada, donnent régulièrement des nouvelles, d’autres, se sont mis en couple, font des
enfants, encore bien jeunes, tout petits. Jonathan, parrain ou tonton adoptif pour tous ces enfants-là.
Meilleur copain des plus grands parmi ces petits. Je perds mon meilleur ami, a dit Marius, le plus âgé,
cinq ans.
Il quitte le Village, la Vallée, surtout le Village, Saint-Vincent, ses deux-cent soixante- douze habitants.
Il part le premier août 2022, le jour même de son trente et unième anniversaire. Nous le fêtons
ensemble, sur son lieu de travail, tranquille tranquille, après son service, à seize heures. Il quitte les
lieux à 17 h passées.
Il glisse un « Merci P’pa » discret, ferme aussi, pour le gros framboisier, les bougies qui saluent son
âge. C’est ce que suppose le père.
Le père aurait voulu tout expliquer. Une leçon impossible. Non, plutôt, une leçon qui n’a pas lieu d’être.
Villevieille, 1 er décembre 2022